COVID19 (France - Ile Maurice) – Un droit des marques touché par la pandémie
(Volet 2 : Ile Maurice)
Précédemment dans le volet 1, nous avions traité la question de savoir s’il était envisageable pour une personne, physique ou morale, d’enregistrer et de détenir des droits exclusifs sur les marques « covid » « Covid19 », « coronavirus » en France. Dans le présent volet, nous traiterons de la même problématique au regard du droit mauricien.
Face aux demandes en cascade reçues par les bureaux des marques des quatre coins du globe, on assiste à un mouvement général de blocage. Dans notre précédente analyse, nous avions notamment évoqué, au regard des dispositions du droit français des marques, que les chances de voir de telles marques enregistrées au Registre National des marques étaient relativement faibles.
Nous souhaitons à présent analyser les dispositions du droit des marques mauricien afin de déterminer ce qu’il en serait à Maurice, si l’IP Office mauricien devait faire face à ce même phénomène.
Suite à l’extension du couvre-feu décrété par le Gouvernement jusqu’au 1er juin 2020, nous ne savons pas si de telles demandes ont été faites pour ces marques. Depuis le 11 mai, dernier la fonction publique connait un déconfinement graduel qui a concerné, dans un premier temps, seulement 30% du personnel des services publiques, une proportion qui sera amené à augmenter au fur et à mesure jusqu’à la fin de la période de confinement. Toutefois, nous n’avons à ce jour eu aucune information quant à la reprise des opérations au sein de l’IP Office.
Les droits français et mauricien en matière de marques et de propriété intellectuelle sont très similaires. Nous le verrons, l’examen des demandes dans ces deux juridictions se fait en deux temps et suppose de vérifier, dans un premier temps, que la marque répond aux exigences formelles de dépôt (I), et dans un second temps, que celle-ci est enregistrable à l’issu d’un contrôle substantielle (II). Les deux juridictions partagent, notamment en droit des marques, les mêmes concepts et notamment le principe en vertu duquel l’enregistrement est ce qui confère à une personne des droits exclusifs sur une marque. Nous attribuons généralement cette position aux pays de tradition civiliste par opposition aux pays de Common Law qui considèrent que l’exploitation effective de la marque sur un marché donné pour des produits et services spécifiques est, a contrario, ce qui confère à une personne des droits exclusifs sur celle-ci.
I. Un examen en deux temps
A l’Ile Maurice, le droit des marques est actuellement régi par le « Patents, Industrial Designs and Trademarks Act » de 2003. Cependant ce texte aura vocation à être remplacé par une nouvelle législation, « l’Industrial Property Bill », en votée à l’Assemblée Nationale en 2019 et qui entrera en vigueur très prochainement.
La section 38(1)[1] du « Patents, Industrial Designs and Trademarks Act » prévoit que l’examen de la demande d’enregistrement se fait en deux temps.
Dans un premier temps, l’IP Office vérifie que la demande de dépôt remplit l’ensemble des conditions de recevabilité[2] prévues incluant la mention du nom du déposant, l’énumération des produits/services désignés par la marque et les classes correspondantes ainsi que le paiement des frais de dépôt.
Dans un second temps, l’IP Office effectue un second examen durant lequel la marque est examiné au regard d’un certain nombre de critères substantiels prévue à la section 36 (2)[3].
L’ « IP Bill » de 2019 reprend ce principe selon lequel l’enregistrement de la marque est la condition sine qua none à l’obtention de droits exclusifs sur celle-ci, ainsi que ce double examen alliant, un contrôle de recevabilité de la demande de dépôt ainsi qu’un contrôle de la marque au regard d’un ensemble de critères substantiels.
C’est notamment au stade du second examen que la question de la validité des marques « covid » « Covid19 », « coronavirus » se pose.
II. L’analyse substantielle de la validité de ces marques
Le « Patents, Industrial Designs and Trademarks Act » prévoit comme en droit français qu’aucune marque ne sera enregistrée si :
- celle-ci est dépourvue d’un caractère distinctif (« (a) is incapable of distinguishing the goods or services of one enterprise from those of other enterprises»); et
- celle-ci est contraire à l’ordre public et à la moralité (« (b) is contrary to public order or morality»),
entre autres critères (section 36(2)).
(a) Appréciation du caractère distinctif
Pour ce qui relève du caractère distinctif, les mêmes observations effectuées en droit français peuvent être faites en droit mauricien. En effet, en droit mauricien, le caractère distinctif relève également de l’essence même de la marque. Le « Patents, Industrial Designs and Trademarks Act » définissant notamment la notion de marque dans les mêmes termes que le droit français, soit comme un signe dont la fonction première est de permettre aux consommateurs et usagers de distinguer les produits/services qu’elle désigne de produits ou services similaires (section 35 « mark means any visible sign capable of distinguishing the goods (trademark) or services (service mark) of an enterprise from those of other enterprises »).
Dans le précédent volet, nous avions démontré qu’au regard du caractère distinctif, les marques « covid » « Covid19 », « coronavirus » avaient de faibles chances d’être enregistrées, en raison de leur caractère générique. Pour mémoire, une marque est générique lorsque celle-ci se constitue exclusivement de l’appellation usuelle dans le langage courant ou professionnel du produit désigné
Aucune disposition expresse n’est prévue dans la présente loi pour empêcher tout enregistrement de marque composée de termes génériques. Cependant, l’IP Bill de 2019 prévoit expressément en sa section 91 (2) (c) ce qui suit : [manque le début de la phrase]“consists solely of a sign or indication that has become generic in current language or in the bona fide established practices of the trade, or is a usual or recognised technical or scientific name of a product or service”. Dans la jurisprudence mauricienne, il est d’ailleurs généralement admis qu’une personne ne peut avoir de droit exclusif sur une marque composée exclusivement de termes génériques[4].
A cet égard, nous estimons qu’un raisonnement similaire à celui effectué en droit français doit être effectué en droit mauricien au regard de ces marques. En effet, comme évoqué dans le volet 1, le « coronavirus », autrement appelé « covid-19 » est un virus, consacré pandémie mondiale par l’Organisation Mondiale de la Santé et ne saurait, en théorie, être associé ou désigner autre chose que cette pandémie, encore moins un produit ou service dans l’esprit du consommateur lambda.
D’autre part, en raison de la surmédiatisation qui entoure le virus, il est indéniable que ces termes ont déjà fait l’objet d’une large utilisation, Dès lors, toute tentative de déposer ces marques relèverait d’une tentative de faire un profit du buzz médiatique.
Par ailleurs, un tel dépôt pourrait également, et avant tout, contrevenir au respect de l’ordre public et de la moralité.
(b) Appréciation du respect de l’ordre public et de la moralité
Nous l’avons vu, la loi interdit l’enregistrement de toute marque pouvant contrevenir au respect de l’ordre public et de la moralité. Même si le concept de moralité est aujourd’hui particulièrement difficile à saisir, il convient de garder à l’esprit que ces termes renvoient à une crise sanitaire qui a vu la mort de milliers de personnes et dont l’ampleur a su avoir des conséquences catastrophiques à l’échelle mondiale. A cet égard, il est tout à fait envisageable que l’IP Office mauricien suive la même démarche que l’INPI dans l’affaire « Je Suis Paris »[5] en s’opposant à l’enregistrement des termes « covid » « Covid19 », « coronavirus » afin de prévenir toute tentative des acteurs économiques de capitaliser sur des évènements tragiques.
III. Conclusion
Au regard de ce qui précède, il semble que les chances de voir les marques « covid » « Covid19 » et « coronavirus » enregistrées sur le registre national mauricien des marques sont relativement minces. Comme nous le disions plus haut, nous ne savons pas si, à ce jour, de telles demandes ont été faites auprès de l’IP Office. Nous restons attentifs à la prise de toute décision et à toute publication à ce sujet, et ne manquerons pas de vous en informer.
PLCJ Team – 20 mai 2020
[1] 38. Examination and opposition
(1) The Controller shall examine—
(a)whether the application complies with the requirements of section 37 and any regulations made under this Act; and
(b) whether the mark is a mark as defined in section 35 (b) and is registrable under section 36 (2).
[2] Section 37 “Application for registration”
[3] Section 36(2) No mark shall be registered, where it—
(a)is incapable of distinguishing the goods or services of one enterprise from those of other enterprises;
(b)is contrary to public order or morality;
(c)is likely to mislead any person, in particular as regards the geographical origin of the goods or services concerned or their nature or characteristics;
(d)is identical with, or an imitation of, or contains, as an element, an armorial bearing, flag and other emblem, a name or abbreviation or initials of the name of, or official sign or hallmark adopted by, any State, inter- governmental organisation or organisation created by an international convention, unless authorised by the competent authority of that State or organisation;
(e)is identical with, or confusingly similar to, or constitutes a translation of, a mark or trade name which is well known in Mauritius for identical or similar goods or services of another enterprise;
(f)is registered in Mauritius for goods or services which are not identical or similar to those in respect of which registration is applied for, provided, in the latter case, that use of the mark in relation to those goods or services would indicate a connection between those goods or services and the owner of the well-known mark and that the interests of the owner of the well- known mark are likely to be damaged by such use; and
(g) is identical with a mark belonging to a different proprietor and already on the Register, or with an earlier filing or priority date, in respect of the same goods or services or closely related goods or services, or where it so nearly resembles such a mark as to be likely to deceive or cause confusion.
[4] Voir MAURILAIT PRODUCTION LTEE v INNODIS LTD 2010 SCJ 277
[5] Voir Covid19 (France) – Le Droit Des Marques Touche Par La Pandemie (Volet 1)