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COVID-19 (France - Ile Maurice) – Un droit des marques touché par la pandémie
(Volet 1 : France)

Si beaucoup ont été pris de court par la pandémie, ses ravages et les mesures gouvernementales prises pour y faire face, cette crise sanitaire aura engendrée un phénomène presque attendu en droit des marques. En effet, il est très commun en temps de crise, de tragédie, de voir se multiplier les demandes de dépôts de marques visant à permettre à leur bénéficiaire de tirer profit de ces situations difficiles souvent surmédiatisées.

De par le monde, les demandes de dépôts se font en rafales pour les termes « covid » « Covid19 »,  « coronavirus » et autres marques en lien avec la pandémie. Nous ne débattrons pas ici de la moralité d’une telle démarche, même si beaucoup déplore cet élan opportuniste.

Face à cette situation, les bureaux des marques, aux quatre coins du globe, semblent avoir une approche relativement stricte dans leur examen de ces demandes de sorte à éviter toute tentative de capitaliser sur la dimension tragique de cette crise.

La Chine notamment a émis un communiqué le 27 février dernier pour annoncer la mise en place de lignes directrices spéciales à suivre dans  l’examen des demandes relatives aux marques directement ou indirectement au virus.

La question se pose en effet de savoir s’il est possible pour une personne d’obtenir un droit sur les marques « covid » « Covid19 », « coronavirus » ?

Notre analyse portera, dans ce premier volet sur le droit français des marques. Nous traiterons du droit mauricien dans un second volet.

I. Un examen en deux temps

En France, le premier dépôt a été effectué en février auprès de l’INPI pour la marque « COVID-19 » en classe 18[1] et 25[2] . La marque « coronavirus » a quant à elle été déposée auprès de l’Institut, le mois dernier, dans les classes 16[3], 18, 20[4], 25 et 28[5] . Ces dépôts sont en cours de traitement.

L’examen des demandes s’effectue en deux temps. Il convient d’abord pour l’INPI de vérifier que la demande de dépôt remplit l’ensemble des conditions de recevabilité prévues incluant la mention du nom du déposant, l’énumération des produits/services désignés par la marque et les classes correspondantes.

Cet examen formel laisse place, dans un second temps, à un second examen durant lequel la marque est examiné au regard d’un certain nombre de critères substantiels posés par la loi.

C’est notamment au stade du second examen que la question de la validité des marques « covid » « Covid19 » et « coronavirus » se pose.

II. L’analyse substantielle de la validité de ces marques

Le Code de la Propriété Intellectuelle prévoit que « la marque d’un produit est un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales » (article L.711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle). Ce signe peut ainsi être représenté sous relativement toutes les formes dans le registre national des marques. Toutefois,  pour être considérée comme valide, le signe déposé doit répondre à des critères posés à l’article L.711-2 dudit Code, qui incluent les éléments suivants :

  • Etre pourvu d’un caractère distinctif ;
  • Etre non contraire à l’ordre public et dont l’usage n’est pas légalement interdit ;
  • Etre de nature à ne pas tromper le public.

Concernant les critères de la tromperie ou de l’illicéité de la marque, ceux-ci ne sont pas remis en question en l’espèce et ne nécessitent pas, selon nous, d’être plus amplement analysés. Il en va autrement du caractère distinctif.

  • Appréciation du caractère distinctif

Le caractère distinctif relève de l’essence même de la marque car sa fonction première est avant tout de permettre aux consommateurs et usagers de distinguer les produits/services qu’elle désigne de produits ou services similaires. Le choix d’une marque présentant un caractère arbitraire et fantaisiste par rapport au service et/ou produit qu’elle désigne garantit dès lors le respect du critère de distinction.

L’appréciation du caractère distinctif de la marque à déposer suppose d’examiner que les termes employés ne peuvent être qualifiés de génériques d’une part (c’est-à-dire que la marque dont il est question ne doit pas être constituée par l’appellation usuelle dans le langage courant ou professionnel du produit désigné) et dans un second temps, de s’assurer que celle-ci n’ait pas un caractère descriptif (c’est-à-dire que la marque dont il est question ne doit pas  être exclusivement composée de termes indiquant les qualités essentielles du produit ou du service). Le critère distinctif s’apprécie ainsi au regard des produits et services désignés. En l’espèce, le contrôle du caractère descriptif ne pose relativement pas de problème contrairement au contrôle du caractère générique des termes employés.

En effet, l’article L.711-12 4° du Code de la Propriété Intellectuelle dispose notamment que ne peut être valablement enregistrée, « une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ».

Divers exemples nous viennent à l’esprit lorsqu’il est question de parler de termes génériques en droit des marques. Nous pouvons notamment citer les marques « Frigidaires » et « Scotch » qui ont été déchues pour être devenues l’appellation usuelle dans le langage courant du produit qu’elles désignaient.

Les termes « coronavirus » et « covid-19 » désignent, dans le langage courant, un virus, consacré pandémie mondiale par l’Organisation Mondiale de la Santé, et qui, en raison de la surmédiatisation et de l’ampleur de la crise sanitaire engendrée, ne saurait désigner autre chose que ce virus. D’autant plus que les marques déposées auprès de l’INPI ont vocation à désigner des vêtements, jouets, meubles et objets en tout genre.

Ainsi, il convient de rappeler que suite aux attentats de Charlie Hebdo, l’INPI avait notamment refusé d’enregistrer le slogan « Je suis Charlie ». Le motif de refus évoqué était le suivant : « ce slogan ne peut pas être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la collectivité ». En effet, quelques heures après les attentats, ce slogan faisait déjà l’objet d’une diffusion de masse sur les réseaux sociaux. Cet effet viral instantané fut alors suivi par une vague de demande de dépôt auprès de l’INPI par des individus souhaitant profiter du buzz.

Nous observons un phénomène très similaire en ce qui concerne les termes « coronavirus » et « covid-19 » et pour ces raisons, les chances de succès d’une demande de dépôt nous semblent très faibles, d’autant plus qu’un tel dépôt pourrait contrevenir au respect de l’ordre public et des bonnes mœurs.

  • Appréciation du respect de l’ordre public et les bonnes mœurs

L’ordre public s’entend de l’ensemble des règles impératives affectant l’organisation de la nation, les droits et libertés essentiels de chaque individu. Les bonnes mœurs se définissent au regard de la jurisprudence européenne comme englobant les « valeurs et les normes morales fondamentales auxquelles une société adhère à un moment donné » (CJUE 27 févr. 2020, aff. C-240/18).

C’est notamment sur ce fondement que l’enregistrement des slogans « Pray for Paris » et « Je suis Paris » avait été refusé. En effet, dans son communiqué, l’INPI justifiait sa position en évoquant le fait que ces slogans étaient composés de « termes qui ne sauraient être captés par un acteur économique du fait de leur utilisation et de leur perception par la collectivité au regard des événements survenus le vendredi 13 novembre 2015 ».

Les risques qu’un raisonnement similaire soit adopté à l’égard des termes « Covid19 » ou « Coronavirus » ne sont ainsi pas à écarter. En effet, il convient de garder à l’esprit que, pour beaucoup, ces termes renvoient à une crise sanitaire mondiale avec des conséquences économiques et sanitaires sans précédents, et à une pandémie globale ayant entrainé la mort de milliers de personnes. A ce titre, une telle demande pourrait être considérée comme contraire aux bonnes mœurs et à l’ordre public a fortiori. Une telle objection de l’INPI aurait dès lors vocation à prévenir toute tentative des acteurs économiques de capitaliser sur des évènements tragiques.

III. Conclusion

Au regard de ce qui précède, il semble que les chances de voir les marques « covid » « Covid19 » et « coronavirus » enregistrées sur le registre national française des marques sont relativement minces. Ces demandes n’étant qu’au stade de la publication, nous attendons encore que l’INPI prenne position à cet égard.

Cette même question pourrait également se poser au regard des autres demandes déposées pour des termes et slogans ayant un lien direct ou indirect avec le virus.

A titre d’illustration, voici quelques exemples intéressants de slogans en cours de dépôt en France et/ou sur le territoire européen :

  • « Ensemble Contre Le Coronavirus Et Les Prejuges! www.opinion-internationale.com» (marque figurative française déposée en classe 16, 25, 35[6],38[7]) ;
  • « Coronavirus Killer» (marque verbale européenne en classe déposée en classe 5 pour les produits désinfectants) ;
  • « Social Distancing: do it together» (marque figurative européenne déposée en classes 7[8] et 11[9]);
  • « Social Distancing Hotel» (marque verbale française déposée en classe 43 pour les hôtels et motels).


PLCJ Team – 13 Mai 2020



[1] Classe 18 : Cuir ; peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies et parasols ; cannes ; fouets ; sellerie ;portefeuilles ; porte-monnaie ; porte-cartes de crédit [portefeuilles] ; sacs ; coffrets destinés à contenir des articles de toilette dits « vanity cases » ; colliers pour animaux ; habits pour animaux.

[2] Classe 25 : Vêtements ; chaussures ; chapellerie ; chemises ; vêtements en cuir ; ceintures (habillement) ; fourrures (vêtements) ; gants (habillement) ; foulards ; cravates ; bonneterie ; chaussettes ; chaussons ; chaussures de plage ; chaussures de ski ; chaussures de sport ; sous-vêtements.

[3] Classe 16 : Produits de l’imprimerie ; articles pour reliures ; photographies ; articles de papeterie ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériel pour artistes ; pinceaux ; articles de bureau (à l’exception des meubles) ; matériel d’instruction ou d’enseignement (à l’exception des appareils) ; caractères d’imprimerie ; clichés ; papier ; carton ; boîtes en carton ou en papier ; affiches ; albums ; cartes ; livres ; journaux ; prospectus ; brochures ; calendriers ; instruments d’écriture ; objets d’art gravés ; objets d’art lithographiés ; tableaux (peintures) encadrés ou non ; aquarelles ; patrons pour la couture ; dessins ; instruments de dessin ; mouchoirs de poche en papier ; serviettes de toilette en papier ; linge de table en papier ; papier hygiénique ; sacs (enveloppes, pochettes) en papier ou en matières plastiques pour l’emballage ; sacs à ordures en papier ou en matières plastiques.

[4] Classe 20 : Meubles ; glaces (miroirs) ; cadres (encadrements) ; objets d’art en bois, cire, plâtre ou en matières plastiques ; cintres pour vêtements ; commodes ; coussins ; étagères ; récipients d’emballage en matières plastiques ; fauteuils ; sièges ; literie à l’exception du linge de lit ; matelas ; vaisseliers ; boîtes en bois ou en matières plastiques.

[5] Classe 28 : Jeux ; jouets ; commandes pour consoles de jeu ; décorations de fête et arbres de Noël artificiels ; appareils de culture physique ; appareils de gymnastique ; attirail de pêche ; balles et ballons de jeux ; tables de billard ; queues de billard ; billes de billard ; jeux de cartes ; jeux de table ; patins à glace ; patins à roulettes ; trottinettes [jouets] ; planches à voile ; planches pour le surf ; raquettes ; raquettes à neige ; skis ; rembourrages de protection (parties d’habillement de sport) ; maquettes [jouets] ; figurines [jouets].

[6] Classe 35: Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; diffusion de matériel publicitaire (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; services d’abonnement à des journaux (pour des tiers) ; services d’abonnement à des services de télécommunications pour des tiers ; présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail ; conseils en organisation et direction des affaires ; comptabilité ; reproduction de documents ; services de bureaux de placement ; portage salarial ; service de gestion informatisée de fichiers ; optimisation du trafic pour des sites web ; organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; publication de textes publicitaires ; location d’espaces publicitaires ; diffusion d’annonces publicitaires ; conseils en communication (publicité) ; relations publiques ; conseils en communication (relations publiques) ; audits d’entreprises (analyses commerciales) ; services d’intermédiation commerciale (conciergerie)

[7] Classe 38: Télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d’ordinateurs ; communications par réseaux de fibres optiques ; communications radiophoniques ; communications téléphoniques ; radiotéléphonie mobile ; fourniture d’accès utilisateur à des réseaux informatiques mondiaux ; mise à disposition de forums en ligne ; fourniture d’accès à des bases de données ; services d’affichage électronique (télécommunications) ; raccordement par télécommunications à un réseau informatique mondial ; agences de presse ; agences d’informations (nouvelles) ; location d’appareils de télécommunication ; émissions radiophoniques ; émissions télévisées ; services de téléconférences ; services de visioconférence ; services de messagerie électronique ; location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux.

[8] Classe 7 : Machines-outils ; moteurs (à l’exception des moteurs pour véhicules terrestres) ; accouplements et organes de transmission (à l’exception de ceux pour véhicules terrestres) ; instruments agricoles autres que ceux actionnés manuellement ; distributeurs automatiques ; machines agricoles ; machines d’aspiration à usage industriel ; machines à travailler le bois ; manipulateurs industriels (machines) ; machines d’emballage ; machines pour l’empaquetage ; pompes (machines) ; perceuses à main électriques ; tondeuses (machines) ;  bouldozeurs ; broyeurs (machines) ; centrifugeuses (machines) ; ascenseurs ; machines à coudre ; machines à tricoter ; repasseuses ; lave-linge ; machines de cuisine électriques ; machines à trier pour l’industrie ; scies (machines) ; robots (machines) ; machines à imprimer ; foreuses ; élévateurs ; couteaux électriques.

[9] Classe 11 : Appareils d’éclairage ; appareils de chauffage ; appareils de production de vapeur ; appareils de cuisson ; appareils de réfrigération ; appareils de séchage ; appareils de ventilation ; appareils de distribution d’eau ; installations sanitaires ; appareils de climatisation ; installations de climatisation ; congélateurs ; lampes de poche ; cafetières électriques ; cuisinières ; appareils d’éclairage pour véhicules ; installations de chauffage pour véhicules ; installations de climatisation pour véhicules ; appareils et machines pour la purification de l’air ; appareils et machines pour la purification de l’eau ; stérilisateurs.

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