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Prudence dans la rédaction des clauses d’exclusion d’un associé en droit français et en droit mauricien

Réflexions sur la décision de la Cour de cassation, chambre commerciale, 21 avril 2022, n°20-20.619

La chambre commerciale de la Cour de cassation, par une décision en date du 21 avril 2022[1], a jugé irrégulière la clause statutaire d’une Selarl médicale disposant que la majorité requise pour exclure un associé se calculait en excluant le vote de l’associé visé par la procédure d’exclusion.

La clause statutaire était rédigée comme suit :

« cette exclusion [d’un associé] est décidée par les associés à la majorité prévue pour les décisions extraordinaires, calculée en excluant, outre l’intéressé, les associés ayant fait l’objet d’une sanction pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, l’unanimité des autres associés exerçant au sein de la société et habilités à se prononcer en l’espèce devant être recueilli ».

La demande en annulation de la décision d’exclusion a été rejetée par une cour d’appel, qui a fait valoir la distinction entre, d’une part, la participation de l’associé exclu à la décision collective et au vote, et d’autre part, la prise en compte effective de son vote.

Elle a précisément retenu que la clause n’avait pas pour objet de priver « l’associé exclu de son droit de participer à la décision et au vote, mais seulement  de ne pas prendre en compte son vote dans le calcul des voix, ce qui ne contrevient à aucune disposition légale d’ordre public. »

La Cour de cassation a censuré la décision d’appel, au visa des articles 1844[2] et 1844-10[3] du Code civil  :

« En statuant ainsi, alors qu’elle constatait qu’aux termes de l’article 13 des statuts, sur le fondement duquel la résolution du 23 juillet avait été prise, l’exclusion est décidée par les associés à la majorité prévue pour les décisions extraordinaires, calculée en excluant l’intéressé, ce dont il résultait que l’associé concerné se voyait privé de son droit de vote, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. » 

  1. LA FORCE AFFIRMEE DE L’ARTICLE 1844 DU CODE CIVIL – PANORAMA DE JURISPRUDENCE

La Cour de cassation s’est déjà prononcée, de nombreuses fois, sur la question de la privation du droit de vote de l’associé exclu, en ne cessant d’affirmer la force de l’article 1844 du Code civil.

Dès 1999, sur le fondement du droit pour tout associé de participer aux décisions collectives, la Cour de cassation retenait qu’aucune clause statutaire ne pouvait, sauf exception légale, supprimer le droit de vote de l’associé menacé d’exclusion[4].

La Cour a même affirmé le pouvoir de l’article 1844 du Code civil, s’agissant des sociétés par actions simplifiées.   Elle a retenu que, même si l’article L. 227-16 du Code de commerce dispose que les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent dans les conditions qu’ils déterminent, prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, ce texte n’autorise cependant pas les statuts à priver l’associé de sa participation et de son vote lorsque la procédure d’exclusion est soumise à une décision collective[5].

Suite à cette décision, il était courant que les sociétés continuent de recourir à ce type de clauses, en permettant toutefois, dans les faits, à l’associé visé par l’exclusion de participer à la décision et de voter[6].

La Cour a mis fin à cette pratique en jugeant à propos de sociétés par actions simplifiées qu’il ne suffisait pas, malgré la stipulation d’une telle clause d’exclusion, d’inviter dans les faits l’associé à prendre part au vote. Il convenait de régulariser les statuts, par accord unanime des associés en application de l’article 1836 du Code civil. Les juges se sont également prononcés sur la sanction d’une telle clause, en retenant le réputé non écrit de la clause en vertu de l’article 1844-10 du Code civil[7], et donc la nullité de la décision d’exclusion.

Bien qu’une incertitude soit née en 2018[8], suite à la validation par les juges d’une clause d’exclusion stipulée dans les statuts d’une société civile de moyens permettant à l’associé visé par la procédure d’exclusion de prendre part au vote, sans que son vote ne soit cependant pris en compte, la Cour de cassation a réaffirmé sa position classique par sa décision d’avril 2022.

Il a, semble-t-il, été mis fin à la distinction entre le droit de prendre part au vote et la prise en compte effective du vote. Dans cette affaire, la cour d’appel s’était pourtant fondée sur la solution adoptée en 2018, en soutenant que tant que le droit de vote était maintenu dans son principe, il n’était pas nécessaire qu’il soit utilement exercé.

La Cour de cassation semble ainsi déterminée à conférer à l’article 1844 du Code civil un immense pouvoir, tant s’agissant des sociétés civiles que des sociétés commerciales.

Les solutions adoptées se révèlent toutefois surprenantes au regard des dispositions spéciales applicables à certaines formes de sociétés.

En effet, si les articles 1844 et 1844-10 du Code civil s’appliquent à toutes formes de sociétés, certaines dispositions instituent des règles spéciales, censées s’appliquer de manière prioritaire à certaines formes de sociétés. Il semblerait ainsi que le principe selon lequel le spécial déroge au général (specialia generalibus derogant) ne trouve guère à s’appliquer lorsque se pose la question de l’exclusion statutaire du vote d’un associé.

S’agissant des sociétés commerciales, l’article L. 235-1 du Code de commerce prévoit que les clauses statutaires ne sont réputées non écrites que dans le cas où un texte particulier le prévoit. En outre, l’article L. 227-16 du Code de commerce institue précisément au bénéfice des sociétés par actions simplifiée une grande liberté statutaire.

Il apparaît ainsi déroutant que la Haute juridiction ait fait le choix de faire primer les dispositions de droit commun sur les dispositions spéciales du Code de commerce, en réputant non écrite une clause qui aurait pu en principe être valable dans les statuts de sociétés commerciales.

La Cour réduit considérablement la liberté contractuelle propre à la société par actions simplifiée.

De la même façon, les articles R. 4113-16, R.4381-16, R. 5215-21 et R. 6223-66 du Code de la santé publique, applicables aux sociétés d’exercice libéral médicales et paramédicales[9], prévoient que l’exclusion d’un associé « est décidée par les associés statuant à la majorité renforcée prévue par les statuts, calculée en excluant, outre l’intéressé, les associés ayant fait l’objet d’une sanction pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, l’unanimité des autres associés exerçant au sein de la société et habilités à se prononcer en l’espèce devant être recueillie. »

Ces textes, qui dérogent aux dispositions de droit commun, seraient susceptibles de valider une clause statutaire excluant le droit de vote de l’associé exclu. D’autant plus que ce type de clause figure dans les statuts types de société d’exercice libéral de médecins élaborés par l’ordre des médecins et approuvés par le Conseil national de l’ordre des médecins.[10]

Pourtant, dans sa décision d’avril 2022, la Cour a, une nouvelle fois, fait primer le droit commun.

  1. LES CONSEQUENCES SUR LES DECISIONS MAURICIENNES

A ce jour, les tribunaux mauriciens ne se sont pas encore prononcés sur la question de la régularité d’une clause d’exclusion privant l’associé de son droit de vote.

Les articles 1844 et 1844-10 du Code civil mauricien étant calqués sur le Code civil français, le juge mauricien pourrait être amené à se référer au raisonnement français, et retenir ainsi la sanction du réputé non écrit à l’égard d’une clause d’exclusion irrégulière.

La position française serait susceptible d’influencer les décisions mauriciennes, certainement en ce qu’il s’agit des sociétés civiles, régies par le Code civil.

La question se pose en revanche pour les compagnies commerciales.

Le juge mauricien aura-t-il une lecture aussi extensive que le juge français et considèrera-t-il que l’article 1844 s’applique aux compagnies commerciales quand bien même ces dernières sont soumises au Companies Act ?

Il est aisé d’en douter dans la mesure où la jurisprudence mauricienne, s’agissant des sociétés commerciales, s’inspire essentiellement du droit anglo-saxon.

  1. PRUDENCE DANS LA REDACTION DE CLAUSES D’EXCLUSION 

Dans l’attente de connaître la position des juges mauriciens, au regard de la force allouée au jeu de l’article 1844 du Code civil, et de la sévérité de la sanction prononcée à l’égard d’une clause irrégulière, il conviendra de faire preuve de la plus haute attention dans la rédaction des clauses d’exclusion, au sein de statuts ou de conventions extra-statutaires, en laissant à l’associé dont l’exclusion est décidée son droit de vote.

PLCJ Team – 25 août 2022

[1] Cass, Com, 21 avril 2022, n°20-20.619

[2] « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. »

[3] « Toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite. »

[4] Cass, Com, 9 février 1999, Château d’Yquem

[5] Cass, Com, 23 octobre 2007, n°06-16.537, Arts et Entreprises

[6] B. Dondero, « L’exclusion de l’exclu de l’exclusion exclue », Recueil Dalloz 2014, p. 1485

[7] Cass, Com, 9 juillet 2013, n°11-27.235 et n°12-21.238 ; Cass, Com, 6 mai 2014, n°13-14.690

[8] Cass, Com, 24 octobre 2018, n°17-26.402

[9] Article 21 de la loi du 31 décembre 1990, régissant les sociétés d’exercice libéral : « [Des] décrets peuvent prévoir des cas où un associé peut être exclu de la société en précisant les garanties morales, procédurales et patrimoniales qui lui sont accordées dans ce cas. »

[10] « Selarl médicale : la majorité fixée par les statuts pour prononcer une exclusion jugée irrégulière », BRDA Sociétés, 15 juin 2022, n°12, p.5

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