Après avoir fait l’objet de débats devant la commission mixte paritaire, la loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs a été promulguée le 30 mars 2023 et publiée au Journal Officiel le 31 mars (loi dite Egalim 3).
Elle s’inscrit dans la continuité des lois Egalim 1 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible et Egalim 2 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.
Quel est l’objectif de la loi Egalim 3 ?
La loi Egalim 3 intervient en droit de la consommation et propose notamment de corriger le déséquilibre dans les relations commerciales entre les industriels de l’agroalimentaire et les enseignes de la grande distribution. Le schéma ci-dessous reproduit les relations fournisseurs/distributeurs avant l’entrée en vigueur de la loi.
Cette situation était donc avantageuse pour les distributeurs qui, malgré un défaut d’accord, pouvaient continuer à commander au tarif convenu l’année précédente, et ce, pendant plusieurs mois. L’inflation et l’augmentation des coûts de production n’étaient pas prises en compte dans le tarif applicable et, ni l’arrêt de livraison, ni l’arrêt des commandes n’étaient possibles car les juges les considéraient comme une rupture brutale de relation commerciale établie.
Pour estomper les pressions pratiquées par les enseignes de grande distribution dans la phase de négociation, le texte prévoit plusieurs dispositifs.
Quelles sont les solutions avancées par la loi ?
La première est expérimentale et durera 3 ans. La loi accorde une option au fournisseur si aucun accord est trouvé avant la date butoir des négociations. Il aura désormais le choix entre :
- Interrompre la relation commerciale avec le distributeur, sans ce que ce dernier ne puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale ;
- Respecter un préavis dont la durée tiendra compte « des conditions économiques du marché ». Le taux d’inflation des intrants ou la hausse moyenne des prix acceptée par d’autres distributeurs pourraient être pris en considération ;
- Saisir le médiateur des relations commerciales agricoles ou le médiateur des entreprises. Les parties disposent alors d’un délai d’un mois pour conclure un accord qui fixe les conditions du préavis en tenant compte des conditions économiques du marché :
- en cas d’accord des parties, le prix convenu pour la durée du préavis s’applique rétroactivement aux commandes passées depuis le 1er mars ;
- en cas de désaccord, le fournisseur retrouve la faculté soit de rompre la relation commerciale sans que le distributeur puisse invoquer sa rupture brutale, soit de demander l’application d’un préavis conforme à la loi.
Bien que l’échec de la négociation soit en défaveur des deux parties, la liberté octroyée par l’existence de plusieurs options permet de rééquilibrer le schéma d’affaires. Auparavant, le défaut d’accord avant la date butoir était au seul détriment du fournisseur qui portait, à lui seul, le fardeau économique. Dorénavant, la proposition consiste à partager le fardeau entre les deux contractants. D’une part, c’est subjectivement mieux pour le fournisseur et d’autre part, objectivement mieux pour le développement de la concurrence.
Par ailleurs, ce déséquilibre se manifestait également par l’ampleur injustifiée des pénalités logistiques dont étaient victimes les fournisseurs.
En quoi consistent les pénalités logistiques ?
Brièvement, la pénalité logistique a pour but de garantir le bon fonctionnement de la chaîne logistique, en sanctionnant les retards dans la livraison, les absences de livraison, ou encore des livraisons non conformes à la commande.
Communément, des pénalités logistiques conséquentes étaient imposées aux fournisseurs par les distributeurs. Pour instiller davantage d’équité dans les pratiques, le législateur a planté l’encadrement desdites pénalités dans Egalim 2, qui s’est désormais enraciné dans Egalim 3.
Les obligations relatives à la logistique concernant notamment le montant des pénalités et les modalités de détermination de ce montant, doivent faire l’objet d’une convention écrite distincte de la convention unique qui matérialise le dénouement de la négociation commerciale (C. com. art. L 441-3, I bis nouveau). La raison tient au fait, qu’en pratique, les pénalités logistiques faisaient l’objet d’une annexe, dont la négociation se déroulait lorsque la pression atteignait son apogée. En revanche et toujours en pratique, on peut s’interroger sur le fait de déterminer si cette obligation n’alourdira pas le mécanisme.
L’indépendance des conventions n’est pas que structurelle, elle se décline également dans leur régime. Si la convention unique a une date butoir, tel n’est pas le cas de la convention logistique, de même que l’échéance ou la résiliation de la convention unique n’implique pas d’effets subséquents automatiques sur la convention logistique (Article 9, loi Egalim 3). Nous supposons que par le jeu de la liberté contractuelle sanctuarisée à l’article 1102 du Code civil, les parties demeurent libres de lier les deux conventions. Seule l’interdépendance automatique semble exclue par la loi.
Quelques modifications concernent le montant des pénalités lui-même, qui doit non seulement être proportionné au préjudice subi, mais aussi ne pas dépasser « un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée » (Article 12, 1°, loi Egalim 3). La matière juridique se nourrit d’imprécisions et celle relative à la catégorie de produits ci-dessus fera certainement l’objet de controverses au même titre que la qualification de loi de police du texte.
Ces changements dans le dispositif contractuel concourent à l’affirmation, bien qu’immuable, de l’obligation de bonne foi, dont les parties doivent faire preuve dans la conduite des renégociations, conformément à l’article 1104 du Code civil. La loi propose désormais de sanctionner le défaut de bonne foi, au titre d’une nouvelle pratique restrictive de concurrence, à la condition que le manquement ait engendré un retard dans l’issue des négociations. Ces nouveautés peuvent constituer des ramifications de la bonne foi mises en œuvre pour apporter de la substance à cette obligation, qui rappelons-le, est d’ordre public.
Il s’avère en outre que l’ordre public est au cœur des enjeux de la loi commentée.
Egalim 3, une loi de police ?
Selon l’article L. 444-1 A du Code de la consommation, « Les chapitres Ier, II et III du présent titre [relatifs à la transparence dans la relation commerciale, pratiques restrictives de concurrence, produits agricoles et denrées alimentaires] s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français. Ces dispositions sont d’ordre public. »
Ainsi, trois conditions doivent être réunies.
- Une condition matérielle: la convention doit être établie entre un fournisseur et un acheteur et non plus un distributeur.
- Une condition tenant à l’objet du contrat: il doit porter sur un produit ou un service.
- Une condition géographique: commercialisé en France.
Il est précisé que ces dispositions sont d’ordre public, ce qui semble disperser la zone nébuleuse afférente à la qualification de loi de police, qui n’est rien d’autre qu’une « disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat » (Article 9, 1 du règlement CE 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I »).
Cette qualification de loi de police permet, pour le moins, d’entraver la délocalisation des centrales d’achats ayant pour but d’éluder l’application de la loi française. Toutefois, le caractère de loi de police n’est pas expressément affirmé – le Sénat dans son rapport précise qu’il attend que la jurisprudence le consacre – et dans les prétoires, les plaideurs pourront se clapir dans cette zone d’ombre pour justifier que la centrale d’achat en question peut s’affranchir desdites dispositions. De façon louable mais timide, le législateur amorce une lutte contre l’évasion juridique dans le secteur de la grande distribution.
S’agissant de la compétence, le même article précise que « tout litige portant sur leur application relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l’arbitrage ».
Il s’avère donc que, les tribunaux français ont gain de cause bien que des exceptions de taille subsistent. Ces exceptions résident dans le « respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l’arbitrage ». La réserve s’appliquera à tous les litiges de la matière civile et commerciale, dans laquelle se réfugient toutes les actions dont les prétentions sont relatives au droit des pratiques restrictives de concurrence, à condition qu’il n’y ait pas eu d’intervention du ministre chargé de l’économie. Cela représente la quasi-totalité des actions intentées pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Quelles sont les clarifications apportées au régime des grossistes ?
Un grossiste est défini comme « toute personne physique ou morale qui, à des fins professionnelles, achète des produits à un ou plusieurs fournisseurs et les revend, à titre principal, à d’autres commerçants, grossistes ou détaillants, à des transformateurs ou à tout autre professionnel qui s’approvisionne pour les besoins de son activité » (C. com. art. L 441-1-2, I nouveau ; ex-L 441-4, II).
Il convient de préciser d’emblée que le régime n’a pas été modifié en tant que tel, seule une réorganisation des dispositions a été mise en œuvre. Elle a notamment pour conséquences une meilleure lisibilité, ainsi qu’une exclusion expresse des grossistes du champ d’application du dispositif relatif à la convention unique applicable aux produits alimentaires et aux produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie. De même, le régime des grossistes déroge aux pénalités logistiques abordé supra.
Cette consécration à part entière du régime des grossistes accorde du crédit à ce maillon intermédiaire de la chaîne d’approvisionnement qu’il faut épargner de contraintes juridiques supplémentaires, d’autant plus qu’ils sont souvent en concurrence avec les centrales d’achat, considérés comme des poids lourds dans les affaires. Par le biais d’un écartement du régime de droit commun en faveur des grossistes, un nouvel encadrement est né.
Pour conclure, l’intention de la loi est claire. Elle a pour but de rééquilibrer la relation fournisseur-distributeur et plus globalement les lois du marché de la distribution. Les négociations, l’ordre public, les prix, les montants des pénalités logistiques sont au cœur des débats. Toutefois, la loi aborde également d’autres thèmes tels que les promotions, les produits sous signe d’identification, le seuil de revente à pertes, et les matières premières agricoles.
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Team PLCJ – 13 juin 2023